Ubisoft peine à tourner la page d’un management « toxique »

Par Thierry Mestayer

Après le choc de la révélation de multiples faits de harcèlement sexuel, l’éditeur de Assassin’s Creed, Rayman et Far Cry a pris des mesures et a fait partir des cadres mis en cause. Mais, en interne, beaucoup pointent des lacunes, voire le maintien d’un système d’impunité au sein d’Ubisoft.

Ubisoft n’est toujours pas sorti de la crise déclenchée l’été dernier par la révélation de multiples accusations de viols et de harcèlements sexuels au sein de ses équipes.
Ubisoft n’est toujours pas sorti de la crise déclenchée l’été dernier par la révélation de multiples accusations de viols et de harcèlements sexuels au sein de ses équipes. (Photo d’archives Philippe Créhange)

Ubisoft n’est toujours pas sorti de la crise déclenchée l’été dernier par la révélation de multiples accusations de viols et de harcèlements sexuels au sein de ses équipes. Selon nos informations, une première action en justice devrait être déclenchée ces prochains jours, concernant des faits de harcèlement et de manquements dans leur gestion par le groupe fondé et présidé par le morbihannais Yves Guillemot.

Dans le viseur : le « mur de RH », révélé par les témoignages sur les réseaux sociaux comme ceux recueillis par Libération et Numerama, qui préférait fermer les yeux afin de protéger certains cadres. Cette action collective est pilotée par Solidaires Informatique Jeu Vidéo, qui avait lancé un appel à témoignages en octobre. De son côté, Ubisoft n’a jamais déposé plainte.

25 % des salariés déclaraient avoir été victimes ou témoins de mauvaise conduite

Depuis l’été 2020, le leader français du jeu vidéo n’est certes pas resté inactif. Il y avait urgence car 25 % des salariés déclaraient avoir été victimes ou témoins de mauvaise conduite. Et 34 % de ceux qui avaient signalé un incident ne se sentaient pas soutenus par leur direction ! Par-delà les départs retentissants de proches d’Yves Guillemot, plusieurs actions ont été engagées, comme une plateforme anonymisée pour le recueil de témoignages ou la révision du code de conduite que chaque salarié doit désormais signer. « Dans le précédent code, le harcèlement n’était pas clairement mentionné comme un interdit non négociable, précise un élu du Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV). On attend la nouvelle version pour l’été ».

Des formations d’une demi-journée ont aussi été dispensées de façon obligatoire aux 20 000 salariés, tandis que les managers ont suivi des sessions plus poussées de responsabilisation. « Nous percevons la volonté de la direction de quitter la gestion de crise de l’été 2020 car elle représente un risque pour la pérennité du groupe, constate un élu au CSE (comité social et économique) à Paris. Mais ces formations doivent être renouvelées et dispensées aux nouveaux salariés. Pour l’instant, cette demande n’a pas reçu de réponse ».

La DRH historique démise de ses fonctions

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La DRH historique, Cécile Cornet, avait été démise de ses fonctions le 12 juillet tout en restant au sein d’Ubisoft, directement sous la responsabilité d’Yves Guillemot mais sans mission. Elle vient, selon nos informations, de quitter le groupe à la suite de l’arrivée de sa remplaçante. Le profil d’Anika Grant, qui prend le titre de « chief people officer » d’Ubisoft, et celui de la nouvelle responsable diversité et inclusion étonnent en interne : elles sont chacune des anciennes d’Uber, la plateforme VTC qui a elle-même été secouée par des accusations de harcèlements. « Je n’attends pas grand-chose de ces nominations à la DRH, soupire un responsable syndical. Les personnes qui ont couvert les faits de harcèlement sont toujours en poste aux RH ».

25 % des salariés déclaraient avoir été victimes ou témoins de mauvaise conduite.
25 % des salariés déclaraient avoir été victimes ou témoins de mauvaise conduite. (Photo Philippe Créhange)

Depuis août jusqu’à fin mars, les élus des CSE ont pu participer aux enquêtes. Objectif : garantir aux salariés qu’ils ne subiront pas de conséquences négatives de leurs témoignages. Au studio de Paris, deux dossiers ont été traités et des sanctions prononcées. « Nous réclamons que cette participation soit pérennisée mais la direction ne nous répond pas, s’indigne un membre du CSE. Si la direction gère seule les enquêtes, on retombera dans les travers précédents ! ».

« Ceux qui ont témoigné ont été mis sur la touche »

La rémunération des managers devait aussi être liée à leur gestion des sujets de diversité et d’inclusion au sein de leurs équipes. « Pour l’instant, nous ne voyions pas ces objectifs dans les procédures de recrutement ou dans les négociations annuelles d’augmentation », pointe un élu au CSE. Par ailleurs, aucun dispositif n’a été mis en place pour recruter et conserver des salariées, alors qu’Yves Guillemot a fixé un objectif - plutôt tiède - de 24 % de femmes d’ici 2023 (22 % en 2020). « Nos propositions pour que les short-list retiennent des femmes ou qu’elles soient systématiquement reçues en entretien, n’ont eu aucun retour de la direction », se désole un représentant des salariés.

Surtout, certains harceleurs mis en cause publiquement n’ont pas quitté l’entreprise. Florent Castelnérac, visé par une douzaine de témoignages, a été maintenu à la tête de la filiale Nadeo. « La direction utilise des éléments de langage pour le protéger », estime un responsable syndical. C’est aussi le cas d’Hugues Ricour : le directeur d’Ubisoft Singapour a été démis de ses fonctions en novembre. Sans quitter l’organigramme d’Ubisoft pour autant. Mais sans équipe sous ses ordres cette fois.

Au Canada, le directeur a été remplacé par Christophe Derennes, un cousin d’Yves Guillemot. « Rien n’a changé là-bas, regrette un représentant syndical. Récemment, des salariés nous ont rapporté des faits de harcèlement. Ceux qui ont témoigné ont été mis sur la touche en décembre dernier ».

« La direction n’a pas mis en place de corde de rappel : pas de syndicats jusqu’en 2020, pas de représentants du personnel au niveau du groupe : Yves Guillemot a longtemps géré Ubisoft comme une entreprise familiale, analyse un bon connaisseur du dirigeant de Carentoir (56). Au-delà des artifices, il a la responsabilité de mettre en place à Ubisoft les procédures et les règles propres aux entreprises qui comptent 20 000 salariés sur cinq continents ».

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