Avec Microsoft Flight Simulator, Asobo Studio s'envole pour au moins dix ans

Le studio bordelais Asobo Studio signe la nouvelle édition de Microsoft Flight Simulator, sortie en août dernier sur PC et qui cumule déjà plus d'un million de joueurs et plusieurs milliards d'heures de vols. Un tour de force technique qui occupera 120 salariés pendant encore au moins dix ans ! Technologies utilisées, contenus en projet et modèle économique : entretien avec Sebastian Wloch, CEO et cofondateur d'Asobo, et Martial Bossard, producteur exécutif de Microsoft Flight Simulator chez Asobo.
Un A320 Neo survolant Montpellier dans Microsoft Flight Simulator développé par Asobo Studio à Bordeaux.
Un A320 Neo survolant Montpellier dans Microsoft Flight Simulator développé par Asobo Studio à Bordeaux. (Crédits : Microsoft Flight Simulator, 2020)

LA TRIBUNE - Comment se porte Asobo Studio en cette rentrée et que pèse Microsoft Flight Simulator, votre plus gros projet à ce jour, dans l'activité de l'entreprise ?

Sébastien WLOCH, CEO et cofondateur d'Asobo Studio - Nous travaillons sur le jeu depuis plus de trois ans et demi maintenant ! Le développement et le suivi du jeu occupent aujourd'hui 120 salariés à plein temps au sein d'Asobo Studio qui compte 210 collaborateurs au total. Nous avons réalisé 17 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2019, sachant que les ventes de notre dernier jeu A Plague Tale : Innocence, sorti en mai 2019, ne sont pas encore comptabilisées dans ces chiffres. On a déjà vendu plus d'un million d'exemplaires et cela devrait durer encore quelques temps vu les très bons retours que l'on a eu. Donc Asobo se porte bien !

Quels ont été, selon vous, les principaux défis techniques à surmonter pour mener à bien Microsoft Flight Simulator ?

SW - Pas évident de répondre à cette question ! Je dirais que la première difficulté a été de réussir à déporter 99,9 % des données du jeu dans le cloud avec la technologie de Microsoft Azure ce qui nous permet de modéliser la planète entière avec un très haut niveau de détails. En clair : le rendu visuel est calculé sur l'ordinateur du joueur mais toutes les textures et les données 3D qui sont utilisées proviennent du cloud.

Martial BOSSARD, producteur exécutif de Microsoft Flight Simulator chez Asobo - D'habitude ces données sont stockées sur le Blue-ray, le DVD ou la cartouche du jeu, mais pour Flight Simulator on utilise 2,5 petabytes de données numériques. En clair, cela représente l'équivalent de l'espace de stockage de 1,7 million de DVD ! Et cette quantité va grandir au fur et à mesure des mises à jour. L'utilisation du cloud était donc incontournable pour avoir le rendu souhaité.

SW - La seconde réussite technique du jeu c'est la qualité de la gestion de la météo, de l'éclairage, des nuages, du ciel, etc.. Tout cela en temps réel. Ensuite, avec cet épisode nous avons revisité entièrement le modèle de vol de la simulation. Après il y a eu des centaines d'autres techniques à relever mais ces trois là me semblent être les plus marquants.

Microsoft Flight Simulator Asobo

Les joueurs peuvent se retrouver en ligne pour voler côte à côte (crédits : Microsoft).

Le rendu graphique utilise des procédés de photoréalisme, de quoi s'agit-il exactement ?

MB - On utilise d'un côté les outils de Microsoft Bing : photogrammétrie, données satellites, élévations, villes et aéroports en 3D, etc. De l'autre, on a la puissance de calcul dans le cloud d'Azure qui nous permet de calculer la classification et de positionner au bon endroit les bâtiments, les arbres, etc. Ces deux procédés se complètent pour aboutir au niveau de détails souhaité avec un téléchargement en temps réel sur la machine du joueur. C'est là que viennent ensuite s'ajouter des techniques de calcul de rendu physique plus classiques dans le jeu vidéo : éclairage, reproduction des nuages, gestion des matières, etc. Pour être tout à fait complet : on récupère non seulement les données du sol mais aussi la météo en temps réel sur la totalité du globe pour la reproduire dans le jeu. Toutes ces techniques et ces articulations ont nécessité énormément de R&D.

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Vous êtes aujourd'hui tous les deux pilotes d'avion. Ce simulateur s'adresse-t-il à des pilotes chevronnés ou à monsieur tout-le-monde ?

SW - Les deux ! D'ailleurs, quand on a débuté notre travail sur le jeu, on ne pilotait pas ! Aujourd'hui, au sein de l'équipe on compte une vingtaine de pilotes dont une moitié qui l'étaient déjà avant leur recrutement chez Asobo et une moitié qui s'y sont mis, comme nous, avec le projet. Donc, concrètement, on a pris beaucoup de soin à calquer les premières de jeu et de tutorial sur nos propres expériences d'apprentissage dans la vraie vie. C'est très progressif, on est accompagné par l'instructeur et les paramètres viennent s'ajouter les uns après les autres. Et les tutoriaux se font sur de vrais avions écoles faciles à piloter, avec une météo favorable et un instructeur qui vous prend largement en charge. En revanche, le pilote expérimenté peut débrancher ces aides s'il le souhaite mais comme aucun pilote ne connaît 30 avions différents, il aura probablement besoin des assistances et des check-lists sur les nouveaux appareils. Donc chacun s'y retrouvera et aura sa propre émotion de vol  !

MB - Les précédents simulateurs de vols étaient fondés sur une approche d'ingénieur avec un souci d'avoir tous les paramètres et instruments corrects mais trop décorrélée d'une expérience physique. Désormais, avec les technologies à notre disposition, nous pouvons reproduire la Terre entière et donc privilégier un autre type de vol : le vol visuel. C'est d'ailleurs le premier type de vol que l'on apprend dans les formations de pilote : se repérer par rapport à la ligne de côte, au fleuve, etc. On a vraiment mis l'accent sur la sensation de vol, sur le fun, sur le plaisir de sentir les masses d'air, sur la caméra dynamique. Pour moi la principale difficulté technique de ce projet c'était précisément d'approcher cette sensation globale de vol pour qu'elle ne soit pas seulement mécanique. Et pour y arriver, il a fallu lier tous les paramètres de la simulation pour avoir une précision d'expérience à tous les niveaux.

Microsoft Flight Simulator Asobo

Des mises à jours gratuites et payantes sont prévues pendant plusieurs années (crédits : Microsoft).

Le jeu est sorti le 18 août mais ce n'est finalement que le début de l'histoire. Quels sont vos plans pour faire vivre le jeu dans les mois et années qui viennent ?

SW - On a fixé un programme assez rythmé avec, d'une part, des mises à jour techniques régulières pour fixer tel ou tel bug et améliorer les performances et, d'autre part, des livraisons de nouveaux contenus a priori une fois par mois. Ces grosses mises à jour seront localisées sur un continent ou un grand territoire particulier pour donner envie aux joueurs de repartir explorer cette région avec une meilleure définition. Tout cela sera gratuit. Il y aura ensuite du contenu trimestriel payant proposant une mise à jour plus grande et accompagnée de nouveaux avions par exemple.

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MB - D'un point de vue économique, Flight Simulator n'est pas seulement un logiciel, c'est aussi une plateforme économique, une plateforme de développement qui intègre une marketplace. Il y a déjà plus de 700 entreprises inscrites sur cette place de marché pour créer et vendre des contenus supplémentaires dans le jeu : des bâtiments, monuments ou aéroports modélisés, des nouveaux avions, des améliorations du terrain, etc.

Finalement, notre rôle c'est donc aussi d'être garants du bon fonctionnement du jeu pour qu'il puisse accueillir cette diversité de contenus. L'idée n'est donc pas forcément de donner plus de profondeur au jeu mais plus de largeur pour que les entreprises et joueurs puissent apporter de nouvelles choses. Par exemple, le vol en hélicoptère n'est pas encore disponible mais ça viendra, tout comme le vol en planeur, ce qui ouvrira à cet écosystème économique de nouveaux outils.

SW - En parallèle, on a fourni aux joueurs un kit complet de développement et il y a une communauté de développeurs qui se crée et qui propose déjà beaucoup de contenus gratuits. Ce sont souvent des gens qui modélisent ce qui se trouve autour de chez eux. Je suis très agréablement surpris par le dynamisme de cette communauté de moddeurs et on travaille dur pour améliorer l'accessibilité de nos outils de développement.

MB - On voit aussi des créations incroyables de clips musicaux, de montages vidéos, de réunions de joueurs autour de créations artistiques inattendues ! C'est fantastique et on va tout faire pour renforcer ce côté bac-à-sable de Flight Simulator.

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Après A Plague Tale : Innocence, Microsoft Flight Simulator et votre triomphe aux Pégases l'an dernier, Asobo sera désormais très attendu au tournant. Que pouvez-vous dire sur vos futurs projets ?

SW - Ce qui est certain c'est que Flight Simulator va nous occuper pendant encore longtemps ! C'est une histoire qui nous engage sur dix ans, certainement plus. On va garder l'équipe actuelle de 120 salariés sur le projet et on devrait même la renforcer ! En revanche, hormis le renouvellement du partenariat avec Focus Home Interactive [l'éditeur français déjà derrière A Plague Tale : Innocence] pour un nouveau jeu, nous n'avons rien à annoncer dans l'immédiat. Sur le plan des recrutements, on va continuer à grandir tranquillement en 2020 et 2021 en accueillant deux à trois personnes par mois dans nos locaux bordelais. En ce moment, on recherche tout particulièrement un data manager !

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Microsoft Flight Simulator, déjà un très gros succès :

Entre le 18 août et le 3 septembre, le jeu a déjà totalisé :

  • Plus de 26 millions de vols, dont un vol de plus de 10 heures et de plus de 7.000 kilomètres
  • Plus de 1,9 milliard de kilomètres de vol cumulés
  • Plus de sept millions d'heures de vidéo visionnées
  • L'Airbus A320 Neo est le 3e appareil le plus populaire après le Daher TBM 930 et le Cessna Citation CJ4
  • La destination la plus prisée par les joueurs du monde entier est... leur propre domicile !

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